Qu’est ce qu’une bière française ?
Chez bière à la main on aime bien se poser des questions existentielles surtout quand il s’agit de parler de … bière. Voici une réflexion issue d’une question qu’on se pose souvent entre nous.
En ces temps où le nationalisme bat son plein, cette interrogation peut prendre une tournure des plus ambiguë.
Les questions d’identités nationales passeront-elles par le monde de la bière ?
Après la loi de pureté allemande, allons-nous demander au législateur de promulguer une loi de conformité française ?
Bien que cela pourrait peut-être aider aux relations franco-germaniques, ce n’est pas notre intention.
Posons-nous la quand même cette question. Je me répète,
Qu’est ce qu’une bière française ?
Car il y a bien une onctuosité belge, une rectitude allemande, une netteté tchèque, une originalité américaine, une élégance anglaise, une fierté irlandaise, mais comment définir une bière française.
Nous avons pendant longtemps navigué dans un monde trichromique : blonde, blanche, brune. Lorsque nous voulions boire une bière originale, nous nous tournions vers les bières belges ; une Chimay, une Orval ou une Rochefort nous permettaient de sortir de notre routine papillaire.
Puis, il y a quelques années nous observions avec un certain émerveillement l’émergence de nouvelles bières en France. Des bières avec du goût, des bières qui ravissent avant d’enivrer.
Elles varient dans leurs houblons, dans leurs malts, dans leurs ajouts aromatiques. Il y a une forte influence américaine dans cette tendance, les IPA fleurissent de toutes parts.
Eh bien voilà, nous nous retrouvons avec notre belle armée de brasseurs motivés, créatifs, inventifs, mais y a-t-il une bière française ?
Nous avons une multiplicité de bières français de qualités, mais rien d’un consensus, d’une identité partagée. Il me semble que, pour l’instant, ce qui est commun est que nous nous inspirons des produits américains, là où, il y a quelques années, nous nous inspirions des belges.
Un terroir ?
Peut être faut-il s’interroger sur une possible notion de terroir de la bière, ah ça nous y sommes attachés nous autres français au terroir.
Pour cela observons nos différents ingrédients en commençant par le malt d’orge.
Rien ne ressemble plus à un grain d’orge de brassage qu’un autre grain d’orge de brassage. Il est normé, calibré et de fait la provenance de celui-ci ne semble pas impacter suffisamment le caractère d’une bière pour qu’on y soit regardant. De plus ce grain va subir une transformation qui, lui, va caractériser une bière, le maltage.
Certaines brasseries s’essayent au tout local, à développer un terroir de la bière notamment en ce qui concerne l’orge et son maltage, je pense notamment à la brasserie des garrigues. Il va certainement nécessiter un peu de temps avant que l’on se rende compte de ce que peut apporter un tel engagement.
Le houblon, le houblon on en use et on re-use, cela pour le plaisir de nos papilles. Notre cher Humulus lupulus qui connaît une pluralité de variétés dont les arômes sont riches et variés. Ces variétés ont bien souvent une nationalité. Un houblon est anglais, américain, russe, etc.
Il y a quelques variétés françaises naissantes, aramis, bouclier. Pour l’instant c’est un début, rien qui puisse pour le moment venir galvaniser notre fierté de coq français.
La levure ? Je ne vois pas grand chose de probant sur une territorialité des levures utilisées en France. Nous aurions des brasseries à la Cantillon qui utilise des procédés de fermentation spontanée, nous pourrions dire sans nul doute qu’elles mettent à profit leur terroir, dans la mesure où c’est justement l’environnement de la brasserie et sa population microscopique qui viendraient transformer leur moût en bière.
Peut-être cependant que quelques vieilles brasseries françaises entretiennent encore leur propre levain. Il en est quelques unes, plus jeunes qui développe leur propre souche de levure, nous pensons entre autres à la brasserie Thieriez.
L’eau, oui l’eau est importante, elle peut être d’une source locale et elle joue grandement sur la qualité de la bière, de son goût, de sa mousse. Pour autant, est ce qu’elle vient donner un accent de terroir à la bière ? Je ne crois pas.
On parle toujours des quatre ingrédients essentiels pour faire une bière et plus rarement des autres, mais dans notre propos ils sont d’importances, on les regroupera dans cette dénomination : les ajouts aromatiques.
C’est bien là que certaines bières acquièrent une image de produit du terroir, souvent avec un esprit marketing bien marqué. C’est ainsi qu’on trouve des bières bretonnes aux algues, des bières provençales au riz de Camargue, des bières lorraines à la mirabelle, des bières normandes à la pomme, des bières corses à la châtaigne et la liste est longue. Tout un panel de bières aromatisées avec ce qu’on trouve dans nos régions et particulièrement avec ce qui caractérise l’identité culinaire ou agricole de celle-ci. Pourquoi pas, parfois ce sont de grandes réussites, mais est-ce que pour autant elles peuvent donner une identité régionale et a fortiori nationale à une bière ? Je ne crois pas, c’est plutôt un emprunt, un folklore. On pourrait mettre un drapeau bleu, blanc, rouge sur l’étiquette d’une bière cela ne lui donnera pas pour autant un style français.
Dans la même veine, nous pouvons nous pencher sur un patrimoine exploité par quelques brasseries artisanales, nos anciens futs de vins et spiritueux. Il y a de quoi faire. En passant par le bourgogne et en s’arrêtant par l’armagnac, nos futs d’alcools régionaux ont eux aussi de quoi séduire, mais encore une fois il s’agit plus là d’un emprunt qu’une identité à part entière.
Que nous reste-t-il ?
Où aller puiser notre franchouillartitude ?
Notre démonstration jusqu’à maintenant n’a pu montrer qu’une chose, que ce n’est pas en regardant du côté des ingrédients que l’on peut y trouver un indice de ce qui vient donner une caractéristique française à nos bières.
Est-ce dans la technique ? Je ne crois pas, celle-ci est assez standardisée et il n’y a pas de technique de brassage à la française.
Est-ce dans son histoire ? Peut-être bien et peut-être plus dans son histoire contemporaine que dans nos antiques traditions. Ne nous imposerons pas un retour à nos ancêtres les gaulois et leur cervoise.
Ce qu’on peut observer, c’est qu’après cette folle période de l’industrialisation qui a marqué le monde de la bière française au XIXe siècle par l’apparition de grosses entreprises brassicoles et par conséquent la disparition de la plus part des petites brasseries artisanales, nous sommes actuellement, à l’aube du XXIe siècle, dans une nécessaire redécouverte de cet artisanat.
Alors, bien sûr cela est un phénomène plutôt mondial, cela n’est pas endémique à la bière, mais cela nous éclaire.
Nous sommes dans un moment d’expérimentation, nous sortons de notre obscurantisme trichromique, et redécouvrons le monde brassicole sous un nouvel éclairage. Nos brasseurs s’essayent à de nouvelles choses, s’inspirent de ce qu’ils voient ailleurs, de ce qu’ils ont à portée de mains. Ils explorent, découvrent et proposent.
A l’image d’un adolescent forgeant son caractère de par ces expériences, nous pourrions oser dire que l’artisanat de la bière en France doit encore construire ce qui définira son identité.
La seule conclusion qu’on peut légitiment se permettre, est que peut-être il est encore trop tôt pour trouver réponse à cette question :
Qu’est ce qu’une bière française ?
A moins que vous en ayez une vous-même ?
On m’a ramené du houblon du marais poitevin, il y a quelques semaines. Un houblon qui pousse à l’état sauvage! C’est pas du terroir, ça, mes amis?
On en trouve aussi au Jardin d’Acclimatation du Bois de Boulogne… pour une bière typique parisienne?
C’est déjà un bon début
Excellent dossier !
La France ne semble pas disposer de French Touch particulièrement car au final, l’histoire de la bière en France est jeune. C’est à la fois un défaut – produit pas toujours stable, pas toujours réussi – et une qualité. Grâce à cette exploration dont tu parles, on se retrouve avec une diversité incroyable de style. Des brasseurs vont préférer faire une bière à l’Américaine (très à la mode), d’autre à l’Allemande ou la la Belge. Cette absence d’histoire nous permet de ne pas nous enliser dans un stéréotype bien fondé.
Du coup, la question qui en découle est : « doit-on absolument chercher une French Touch ? ».
N’est-ce pas intéressant de puiser dans le patrimoine international en le mélangeant au terroir Français ? Ce « malting pot » n’est-il pas la French Touch en fin de compte ?
Si on revanche, la France devait se spécialiser dans un seul truc, j’opterais pour la pâte « Barrel Aged ». Nous disposons en France d’un terroir exceptionnel et de spiritueux d’exception. On nous envie nos Vins, nos Champagnes, nos Cognacs, Armagnacs voire même nos Rhums via les Antilles Françaises.
Or il semblerait que les bières vieillies disposent d’une sacrée côte. J’ai récemment goûté la Goths & Vandals, partenariat entre De Molen & Närke, une bière vieillie de Bourbon, c’était une merveille.
Tu cites la brasserie des Garrigues dans ton article. Ils ont justement fait vieillir une de leur bière en fût de Bourbon également pour donner une bière merveilleuse.
Enfin, dernier axe de développement qui m’a interpellé dans ton article, la Cervoise. Comme tu le rappelles si bien, elle représente à elle seule, le patrimoine brassicole historique de la France. Pourtant, (trop) peu de brasserie Française crée des cervoises. Je n’ai qu’en tête la merveilleuse Cervoise Grillotines de la brasserie Rouget de Lisle, franchouillarde à souhait !
Encore une possibilité de création d’une French Touch.
Cependant, si c’est notre seul antécédent historique, la mode me fait penser qu’on se tournerait plutôt vers les bières vieillies en fût que vers les cervoises. C’est d’ailleurs ce qui est bien remarquable dans cette brasserie Rouget de Lisle, elle n’en a rien à foutre des modes à l’heure où les brasseurs Français font beaucoup (trop?) d’American IPA.
Une bière artisanale française doit avoir du goût. Sinon, autant prendre de l’industriel. Maintenant quel goût ?
Notre cuisine, notre patrimoine viticole montrent bien la diversité de notre culture culinaire.
Une amie étrangère m’a demandée il y a quelques temps quel était le plat typique français et je n’ai su répondre. Il n’y a pas, pour moi, de cuisine française, mais plusieurs cuisines propres à chaque région, ce qui nous laisse espérer plusieurs styles de bières pour chacune d’entre elles .Le paragraphe sur le terroir français est extrêmement pertinent et je pense qu’il serait illusoire de vouloir que des Flandres à la Camargue et au pays Basque le style soit le même.
Habitant Paris, je constate que parmi les brasseries d’Ile de France, la Levalloise, la Goutte d’Or, Voicelest et Outland proposent une offre extrêmement variée, des bières différenciée, en partie grâce aux épices du 18em arrondissement pour l’une de ces brasseries.
Il faudra sans doute laisser l’offre française de bière évoluer, la laisser explorer les différents styles, s’en approprier certains (IPA américaine par exemple) en créer d’autres, pour permettre à tous de découvrir ces nouveaux goûts, ces nouvelles recettes.
Le style « français » s’il existe, passera pour moi par une phase expérimentale, qui exploitera toutes les ressources des différents terroirs, et permettre au final une offre variée, aux nouveaux styles, aux nouveaux ingrédients, propres à chaque région.
Au final, ne pourrions nous pas définir une bière française par son impertinence et son innovation par rapport aux autres bières du marché français ?